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L’illégalité d’un permis de construire tirée de la méconnaissance de la jurisprudence Thalamy n’est pas régularisable
Dans sa décision n°442182 du 6 octobre 2021 publiée au recueil Lebon, le Conseil d'Etat suit les conclusions du rapporteur public V. VILLETTE et exclut le vice tiré de la méconnaissance de la jurisprudence Thalamy (CE, 9 juillet 1986, n°51172, publié au recueil Lebon) du champ d’application des dispositifs de régularisation issus des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
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En contentieux de l’urbanisme, le juge administratif dispose de larges pouvoirs dans le cadre de son contrôle de légalité, que le législateur est venu encadrer et compléter, notamment, par deux dispositifs permettant de limiter les effets d’un vice de légalité lorsqu’il est considéré comme régularisable afin, le cas échéant, de « sauver » l’autorisation contestée. Il s’agit d’un dispositif d’annulation partielle assortie d’un délai de régularisation, prévu par l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, et d’un dispositif de régularisation après sursis à statuer, encadré par l’article L. 600-5-1 du même code. Depuis la loi ELAN n°2018-1021 du 23 novembre 2018, ces deux dispositifs peuvent être mis en oeuvre y compris après l’achèvement des travaux objets de l’autorisation litigieuse.
Dans sa décision du 6 octobre 2021, le Conseil d’Etat apporte d’importants éclairages sur le champ d’application de ces deux dispositifs, ainsi que sur les implications de la jurisprudence Thalamy.
Il était saisi d’un pourvoi à l’encontre d’un jugement ayant prononcé l’annulation « sèche » d’un permis de construire délivré en 2017 (c’est-à-dire ayant refusé de mettre en oeuvre une régularisation). La construction concernée avait fait l’objet d’un permis de construire en 1962, d’une non-opposition à déclaration préalable en 2014 et du nouveau permis de construire en 2017 objet du litige. Or plusieurs éléments de ladite construction ont été édifiés ou transformés sans autorisation d’urbanisme entre le permis initial de 1962 et la non-opposition à déclaration préalable de 2014 (ie : implantation d’un garage, transformation de la toiture, ouvertures de façade), et le permis de 2017 apportait lui-même des modifications à certains de ces éléments irréguliers.
En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle l’application de la jurisprudence Thalamy aux constructions irrégulières édifiées sans autorisation ou en méconnaissance d’une déclaration préalable ou des prescriptions d’un permis de construire :
« Lorsqu'une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment. De même, lorsqu'une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l'objet de transformations sans les autorisations d'urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l'édifice réalisée sans autorisation. »
Il complète ce considérant de principe par des précisions sur les obligations incombant à l’adminstration :
« Dans l'hypothèse où l'autorité administrative est saisie d'une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d'informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s'il entend poursuivre son projet, n'a pas à précéder le refus que l'administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés. »
Le Conseil d’Etat considère ainsi que le jugement du Tribunal administratif est suffisamment motivé sur l'illégalité du permis de construire de 2017 lorsqu'il retient que la non-opposition à déclaration préalable de 2014 n’a pu régulariser les éléments édifiés ou transformés de façon irrégulière depuis 1962 dès lors qu’ils n’étaient pas présentés dans le dossier correspondant et que ledit permis de 2017 ne peut pas davantage les régulariser dès lors qu'il ne portait pas non plus sur l’ensemble des éléments de la construction y compris ceux irréguliers.
En second lieu, le Conseil d’Etat examine la possibilité de régulariser le permis de construire de 2017 et rappelle, à cet égard, les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ainsi qu'un autre considérant de principe sur la conciliation de ces dispositifs (CE, avis, 2 oct. 2020, n° 438318, publié au recueil Lebon) :
« 5. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu'il fasse le choix de recourir à l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, si les conditions posées par cet article sont réunies, ou que le bénéficiaire de l'autorisation lui ait indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même. »
En l’occurrence, le Conseil d’Etat vient apporter une restriction importante à ces voies de régularisation en considérant qu’elles ne sont pas applicables à une autorisation d’urbanisme qui a été délivrée alors que (i) elle ne porte pas sur l’ensemble des travaux, y compris ceux irrégulièrement édifiés, et que (ii) au vu d’un dossier tronqué, l’administration a manqué à son obligation d’inviter le pétitionnaire à déposer une demande régulière :
« 6. Toutefois, lorsque l'autorité administrative, saisie dans les conditions mentionnées au point 2 d'une demande ne portant pas sur l'ensemble des éléments qui devaient lui être soumis, a illégalement accordé l'autorisation de construire qui lui était demandée au lieu de refuser de la délivrer et de se borner à inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l'ensemble des éléments ayant modifié ou modifiant la construction par rapport à ce qui avait été initialement autorisé, cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ou d'une annulation partielle en application de l'article L. 600-5 du même code. »
Les dispositifs de régularisation susvisés ne sauraient, ni en logique ni en opportunité comme le souligne le rapporteur public, permettre de sauver une autorisation illégale du fait du non-respect de la jurisprudence Thalamy.