Prise en application de l’article 117 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite loi Sapin II), l’ordonnance n°2017-1432 du 4 octobre 2017 (ci-après l’« Ordonnance »), portant modernisation du cadre juridique de la gestion d’actifs et du financement de la dette, a introduit en droit français un nouveau véhicule d’investissement, l’organisme de financement spécialisé (ci-après l'« OFS »).
L’Ordonnance, dont les dispositions sont entrées en vigueur depuis le 3 janvier 2018[1], a été complétée par les décrets n°2018-1004[2] et n°2018 1008[3] en date du 19 novembre 2018.
La création de l’OFS répond à une double volonté :
- Faire bénéficier ce nouveau véhicule d’un régime souple en termes de fonctionnement et de possibilités d’investissements ; et
- Participer au financement de secteurs peu liquides tels que l’immobilier, les infrastructures ou le capital-investissement.
L’OFS relève de la classification des fonds d’investissement alternatifs (ci-après un « FIA ») par nature[4], soumis aux dispositions communes issues de la directive 2011/61/UE[5] (ci-après la « Directive AIFM »), et constitue une nouvelle catégorie au sein des organismes de financement.
En vertu des dispositions du II de l’article L. 214-168 du Code monétaire et financier (ci-après le « CMF »), l’OFS a pour objet (i) d’investir directement ou indirectement dans un ou plusieurs actifs mentionnés à l’article L. 214-190-1[6] et (ii) d’en assurer le financement dans les conditions prévues audit article.
L’OFS peut (i) comporter des compartiments[7] et (ii) prendre la forme de fonds de financement spécialisé[8] sur le modèle des fonds communs de placement, ou de sociétés de financement spécialisé sur le modèle des sociétés d’investissement à capital variable, constitué sous forme de société anonyme ou de société par action simplifiée[9].
Le règlement ou les statuts de l’OFS peuvent prévoir l’émission de catégories de parts ou d’actions qui peuvent donner lieu à des droits différents sur le capital et les intérêts, dès lors que le risque de crédit associé à la détention de ces parts, actions ou titres de créance ne fait l’objet d’aucune règle de subordination[10].
La souscription et l’acquisition de parts, actions ou titres de créance, émis par un OFS, sont réservées (i) aux clients professionnels ainsi qu’aux investisseurs étrangers appartenant à une catégorie équivalente sur le fondement du droit du pays dont ils relèvent et (ii) aux investisseurs dirigeants, salariés ou personnes physiques agissant pour le compte de la société de gestion de l’organisme, ainsi que de la société de gestion elle-même[11].
L’article L. 214-175 du CMF prévoit par ailleurs un régime dérogatoire au droit des procédures collectives puisque l’OFS est exclu du champ d’application du droit des procédures collective[12], lequel n’est tenu de ses dettes qu’à concurrence de son actif et selon le rang de ses créanciers défini par la loi ou tel qu’il résulte des statuts ou du règlement de l’organisme ou des contrats conclus par lui.
En outre, en tant que FIA régi par la Directive AIFM, la gestion d’un OFS doit être assurée par une société de gestion[13] relevant de l’article L. 532-9 du CMF, ayant préalablement obtenu un agrément AIFM[14] de l’AMF après communication de son programme d’activité mentionnant notamment la gestion d’OFS.
Par ailleurs, l’OFS (i) n’est assujetti à aucune règle de diversification de ses actifs, ce qui lui confère une souplesse particulière de fonctionnement par rapport aux autres FIA, et (ii) peut être investi dans un large spectre d’actifs.
A cet égard, en vertu des dispositions de l’article R. 214-218 du CMF, l’actif d’un OFS peut être composé :
- D’instruments financiers ;
- De créances, qu’elles soient régies par le droit français ou un droit étranger, dans les conditions définies à l’article D. 214-219 du CMF ;
- De tout autre bien au sens de l’article L. 214-154 du CMF, à savoir les biens éligibles à l’actif d’un fonds professionnel spécialisé (ci-après un « FPS ») ;
- De liquidités mentionnées au 1° de l’article D. 214-232-4 du CMF, et notamment sous forme de dépôts, de titres de capital ou de titres donnant accès au capital ;
- De droits issus de prêts ;
- De contrats constituant des instruments financiers à terme ;
- De garanties ;
- De sûretés ; ou
- De sous-participations en risque ou en trésorerie.
En outre, l’OFS peuvent recourir à une large variété de moyens de financement.
En effet, à côté de la possibilité de pouvoir émettre des parts ou actions ou d’avoir recours à l’emprunt ou à d’autres formes de dettes et d’engagements[15], l’OFS peut également émettre des titres de créance.
Cette possibilité constitue certainement l’un des principaux avantages de l’OFS, par rapport aux autres FIA, constitutive d’une nouvelle opportunité d’apport de liquidités susceptible de pouvoir favoriser l’investissement dans des secteurs ou des actifs peu liquides.
De plus, les procédures de mobilisation des créances professionnelles par cession et nantissement, prévues aux articles L. 313-23 et suivants du CMF (bordereau « Dailly »), sont étendues au profit de l’OFS, ce dernier pouvant en conséquence, à titre principal, être (i) cessionnaire de créances professionnelles cédées à titre d’escompte ou de garantie, ou encore (ii) bénéficiaire d’un nantissement de telles créances professionnelles[16].
A ce titre, l’Ordonnance a introduit, au profit de l’OFS, des mécanismes simplifiés[17] de cession de créances professionnelles et non professionnelles, qui seront le support d’opérations de prêts au profit d’entreprises.
En vue de faciliter le financement des PME et des ETI, il est prévu que l’OFS peut également consentir des prêts[18] (i) après avoir reçu l’autorisation d’utiliser la dénomination « ELTIF », dans les conditions fixées par le règlement (UE) n°2015/760, ou (ii) aux entreprises non financières dans des conditions et limites fixées par l’article R. 214-240-1 du CMF[19].
Enfin, il est précisé que le Règlement général de l’Autorité des marchés financiers (ci-après le « RG AMF ») est en cours d’adaptation, ses modifications ayant été soumises à la Commission consultative de l’AMF le 21 novembre dernier et adoptées par le Collège de l’AMF à la fin du mois de décembre 2018, en vue d’une homologation prévue courant janvier 2019[20].
En conséquence, il faudra attendre l’homologation du RGAMF pour voir apparaître, dans le paysage français de la gestion d’actifs et du financement de la dette, la constitution des premiers OFS.
[1] A l’exception des dispositions relatives aux dépositaires d’organismes de titrisation qui sont entrées en vigueur au 1er janvier 2019.
[2] Publié au Journal officiel et entré en vigueur le 22 novembre 2018, précisant les conditions dans lesquelles les fonds professionnels spécialisés et les organismes de financement, notamment les OFS, peuvent octroyer des prêts aux entreprises.
[3] Publié au Journal Officiel et entré en vigueur le 22 novembre 2018, précisant notamment les conditions dans lesquelles les OFS peuvent octroyer des prêts aux entreprises dans des conditions garantissant la stabilité du système financier.
[4] Catégorie des FIA qui sont expressément listés par le Code monétaire et financier, par opposition aux FIA par objet qui répondent à la définition des FIA mais qui ne sont pas expressément listés par le Code monétaire et financier.
[5] Directive n°2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs.
[6] A savoir les instruments financiers, les créances ou tout autre bien au sens de l’article L. 214-154 du CMF, ou les sous-participations en risque ou en trésorerie.
[7] Chaque compartiment donne lieu à l’émission de parts ou d’actions et, le cas échéant, de titres de créance.
[8] Constitué sous la forme de copropriété et n’ayant pas la personnalité morale, en application des dispositions de l’article L. 214-190-3 du CMF.
[9] Les organismes de titrisation et les fonds professionnels spécialisés pourront par ailleurs se transformer sans dissolution en OFS, en application des dispositions de l’article 5 de l’Ordonnance.
[10] En application des dispositions du IV de l’article L. 214-190-1 du CMF.
[11] En application des dispositions de l’article L. 214-190-1 du CMF, renvoyant à l’article L. 214-144 du CMF.
[12] De même, les dispositions de l’article L. 214-169 du CMF prévoient également que les actifs de l’organisme de financement ne peuvent faire l’objet de mesures civiles d’exécution que dans le respect des règles d’affectation définies par le règlement ou les statuts de l’organisme, l’OFS étant toutefois soustrait au risque de nullité de la période suspecte, prévu à l’article L. 632-2 du Code de commerce, pour les paiements, les dettes échues et les actes à titre onéreux accomplis à compter de la date de cessation des paiements de sa contrepartie, en application des dispositions du VI de l’article L. 214-169 du CMF.
[13] A laquelle s’ajoute notamment la désignation (i) d’un dépositaire de FIA (tel que mentionnée à l’article L. 214-24-4 et suivants du CMF), (ii) d’un commissaire aux comptes et (iii) le cas échéant, d’un recouvreur des créances de l’OFS (dans les conditions prévues à l’article L. 214-172 du CMF).
[14] La société de gestion doit (i) bénéficier de l’agrément « octroi de prêts », distinct de l’agrément « sélection de créances », et le cas échéant, en cas de commercialisation en France de parts ou actions de l’OFS, (ii) transmettre au préalable à l’AMF une notification dont les modalités sont fixées aux articles 421-1 et suivants du Règlement général de l’AMF. Ainsi, après avoir respecté les conditions de cette commercialisation (qui sont fixées par décret), l’OFS pourra être placés dans le cadre du « passeport commercialisation » tel que prévu par la Directive AIFM.
[15] Les dispositions de l’article L. 214-190-1 du CMF prévoyant expressément que l’investissement direct ou indirect dans un ou plusieurs actifs mentionnés au II de l’article L. 214-168 peut résulter de l’émission de parts, d’actions ou de titres de créance, de la conclusion de contrats constituant des instruments financiers à terme, ou encore du recours à l’emprunt ou à toute autre forme de ressources, de dettes ou d’engagements. Le VI du même article prévoyant toutefois une limite, en ce sens que la perte ou l’engagement net maximal pris par un OFS ne peuvent excéder la valeur de son actif.
[16] En vertu notamment des dispositions de l’article L. 214-169 du CMF et dans les conditions définies par les articles R. 214-203-1 à R. 214-203-9 du CMF.
[17] Il est d’ailleurs prévu une inapplicabilité des procédures civiles d’exécution, en ce sens que les dispositions de l’article L. 214-172 du CMF prévoient expressément que les dispositions du CMF et du Code des procédures civiles d’exécution, relatives au recouvrement amiable pour compte d’autrui ainsi que, les cas échéants, celles qui sont relatives aux services de paiement, ne sont pas applicables.
[18] En application des dispositions du V de l’article L. 214-190-1 du CMF.
[19] Uniquement pour les OFS dont les rachats de parts ou actions et le recours à l’effet de levier font l’objet de limitations, étant précisé que les prêts ainsi accordés doivent avoir une maturité inférieure à la durée de vie résiduelle de l’OFS.
[20] Il est d’ores et déjà prévu que la constitution et la vie des OFS seront calquées sur le régime des FPS.